Meurtre à Sochaux, 1968 Travailler les repères temporels à partir d’un récit fictif

, par Hugo Michel

Un scénario pédagogique proposé par :
Hugo MICHEL - Enseignant de lettres-histoire- Lycée Henri Matisse - Trappes (78000) - Académie de Versailles.

Pour y accéder :
https://meurtreasochaux196.wixsite.com/enquete

CAPACITÉS, VISÉES ET POINTS DES PROGRAMMES TRAVAILLÉS

Cette expérience s’inscrit dans les programmes d’histoire de la classe de première, plus précisément « Être ouvrier en France, 1830-1975 ».

POINT DE DÉPART DE L’EXPÉRIMENTATION

Lors de l’enseignement de l’histoire, je pense que nous avons tous fait ce constat au moins une fois face à nos élèves : qu’est-ce que la majorité des élèves a retenu de cette séquence ? Se sont-ils rendu compte de l’évolution, des ruptures de la période historique traitée ? Sans doute certains élèves y arrivent, mais qu’en est-il de la majorité ?
Ainsi, arrivé à la séquence sur « Être ouvrier en France, 1830-1975 », je me suis posé les questions suivantes :

 Comment les élèves peuvent-ils situer un fait (ici une histoire fictive d’un meurtre à l’usine Peugeot de Sochaux lors des événements de mai 1968) dans une période ou une époque donnée ?

 Comment mettre en relation ce fait avec une période donnée, à savoir l’histoire du monde ouvrier ?

 Comment mettre en relation des personnages (Jean Jaurès), des événements (la grève de Carmaux, mai 1968...) et une période historique (l’histoire ouvrière) ?

 Comment identifier une continuité temporelle (la progression des conditions de vie ouvrière en lien avec leurs combats), ainsi que des éléments de rupture dans cette continuité (Front populaire en 1936, événements de mai 1968) ?

ANCRAGE DIDACTIQUE PRIVILÉGIÉE

J’ai réfléchi à une séquence qui s’appuie sur le numérique pour travailler ces enjeux de construction de repères. Lorsqu’on pense aux repères temporels, il m’a semblé naturel dans un premier temps de travailler sur la frise chronologique. Cependant, j’ai également souhaité dépasser certaines limites de la frise chronologique (linéarité, manque d’explications...) en y mêlant des apports de la carte heuristique. J’ai donc fait travailler les élèves sur deux logiciels en ligne : Piktochart et frisechronos.fr, ainsi que sur le logiciel de traitement de texte OpenOffice (ou LibreOffice qui est plus récent, mais nous n’en disposons pas au lycée).

Le numérique apporte ici des possibilités autres que son simple caractère attractif pour les élèves. En effet, il laisse la possibilité à ceux-ci de :

 travailler à partir des ressources et notamment d’accéder à un corpus de ressources difficilement accessible sur papier, ainsi que d’y disposer à volonté ;

 manipuler ces ressources avec plus de facilité (notamment avec la possibilité des projeter le travail des élèves à la fin de chaque séance afin de faire une synthèse collective) ;

 partager des ressources produites par les groupes de travail au reste du groupe classe ;

 collaborer entre les groupes de travail en se saisissant des travaux produits au cours de la séquence.

LA DÉMARCHE :

La séquence est bâtie autour de cinq séances. Les deux premières donnent lieu à une collecte d’informations. La séance 3 est la séance qui amène les élèves à réfléchir et à construire des repères historiques. Enfin, les deux dernières séances sont l’évaluation et sa préparation.

Séquence : Meurtre à Sochaux, 1968Être ouvrier en France, 1830-1970

Partie 1 Partie 2
Séance 1 Séance 2 Séance 3 Séance 4 Séance 5
Explicitation de la séance Collecte d’indices sur les lieux d’un crime La grève de Carmaux Pourquoi mai 68 ? Dessine moi tes connaissances Évaluation et restitution des connaissances
Objectifs de la séance Production d’un document ressource à partir de connaissances historiques.Acquisition de nouvelles connaissances Construction d’un récit fictif à partir de connaissances historiques.Acquisition de nouvelles connaissances Situer le récit fictif dans une période historique : les combats des ouvriers de 1830 à 1970 Remédiation des connaissances dans un schéma heuristique de synthèse Construction d’un récit historique à partir d’un récit fictif, grâce aux repères construits en séance 3

Séance 1 : La scène de crime

Mise en situation des élèves

Un crime a eu lieu. Un homme. Retrouvé mort de deux balles dans le dos. Qu’a-t-il pu se passer ?

Le point de départ de la situation problème

Activité à réaliser et application utilisée

Il s’agit de collecter les indices sur la scène de crime. Chacun de ces indices renvoie à un corpus documentaire différent. Il y en a cinq en tout :

 Une enveloppe (dont le corpus documentaire ouvre sur les conditions de vie des ouvriers au XIXè siècle) ;

 Une photographie (qui éclaire sur le contexte de l’organisation ouvrière et notamment syndicale) ;

 Une affiche avec une horloge (qui permet de travailler sur les avancées obtenues par les luttes ouvrières) ;

 Une affiche avec un poing levé (qui met en avant le caractère de lutte ouvrière contre le patronat) ;

 Une écharpe aux couleurs du club de football de Sochaux-Montbéliard (qui permet de travailler sur les solidarités ouvrières et le travail dans les usines).

Un exemple de corpus documentaire auquel les élèves ont accès

La classe est divisée en cinq groupes, travaillant chacun sur un corpus différent permettant de saisir globalement un aspect du contexte de la lutte ouvrière jusqu’en 1968.

A la fin de la séance, ces groupes doivent produire un document sur Piktochart permettant une présentation orale au re
ste de la classe, mais aussi (et surtout) un réinvestissement par les autres groupes n’ayant pas travaillé dessus.

Ainsi, si les élèves doivent travailler de manière heuristique, la contrainte étant de pouvoir se servir de ce document pour une présentation orale, il faut également qu’ils soient capables de mettre en avant une vision chronologique des événements. Ainsi, il leur est demandé de produire des documents à mi chemin entre le schéma heuristique et la frise chronologique.

Séance 2 : Le Petit Parisien

Mise en situation des élèves

La victime tient également dans sa main un exemplaire du Petit Parisien. Ce journal relate les événements ayant eu lieu à Carmaux en 1892.

Activité à réaliser et application utilisée

Les élèves ont à réaliser un travail de synthèse écrite des événements de Carmaux. Comme c’est une situation du programme, tous les élèves ont cette fois-ci à traiter de ce corpus de documents.
Pour leur faciliter la tâche, ils ont accès à l’application en ligne learningapps qui leur permet de classer les événements de la grève de Carmaux sur un axe chronologique.

Parmi ses fonctionnalités, learningapps propose de remettre des événements dans l’ordre

Séance 3 : Pourquoi 1968 ?

Mise en situation des élèves

Pourquoi 1968 ? Voilà une question que vous vous posez depuis un certain temps...

Qu’ont à voir tous ces faits historiques avec notre meurtre ? Qu’a-t-il pu se passer à Sochaux pour qu’un homme meure car il enquêtait sur les ouvriers ?

Activité à réaliser et application utilisée

C’est cette séance qui est le cœur de la séquence. A partir des documents produits lors de la séance 1 (qui ont été partagés à l’ensemble de la classe), les élèves doivent bâtir une frise chronologique sur frisechronos.fr effectuant une synthèse temporelle des travaux de groupes.

La consigne est également donnée de trouver des périodes historiques, ainsi que des éléments de rupture dans cette histoire ouvrière.

De plus, les élèves vont alors pouvoir situer le meurtre de Sochaux dans cette histoire ouvrière, et se rendre compte que les événements de mai 1968 sont à inscrire dans une histoire plus globale faite de luttes et d’avancées.


A la fin de cette séance, une vidéo permet de voir que ce meurtre n’est pas un événement fictif. Comme pour les autres séances, une synthèse orale avec les élèves présentant leurs travaux est conduite.

Séance 4 : Dessiner ses connaissances

Mise en situation des élèves

Revenons à la réalité. Vous êtes un élève et vous avez un cours sur les ouvriers à connaître !

Il est temps de mettre sur papier tout ce que vous avez appris. Mais avant de se lancer dans la rédaction du cours, il faut bien préparer un brouillon car il y a énormément de choses à dire.

Pour cela, vous allez dessiner vos connaissances.

Activité à réaliser et application utilisée

Les élèves ont comme tâche à réaliser, à partir d’un fichier OpenOffice qui est pré rempli (un logiciel de traitement de texte), l’organisation d’images, à priori selon la méthode du schéma heuristique (carte mentale).

L’objectif de cette séance est d’organiser la réflexion des élèves. En effet, s’ils ont construits des repères chronologiques, il faut également qu’ils puissent être capables de répondre à une problématique qui n’est pas que temporelle.

Un attendu possible du travail des élèves

Séance 5 : Évaluation

Mise en situation des élèves

Maintenant que vous avez mis en place et organisé vos connaissances, vous allez rédiger votre cours, à partir de la carte mentale.

Ce cours répondra à la problématique « Expliquer comment les ouvriers français ont amélioré leurs conditions entre 1830 et 1970 ».

Activité à réaliser

La consigne est assez proche de celles du BEP ou du baccalauréat et l’objectif est qu’ils soient capables d’organiser leur réponse par eux-mêmes, en mettant en avant les continuités et les ruptures chronologiques de la séquence.

POINT D’ARRIVÉE

Retour sur la séance 1 (production de documents ressources heuristiques et chronologiques).

Les élèves sont rentrés dans le sujet d’une manière enthousiaste et se sont dirigés avec entrain vers les postes informatiques. Leur curiosité face au problème posé les a conduits à s’emparer facilement des corpus de documents. Sauf pour un groupe qui n’a pas réussi à travailler assez efficacement (qui n’a projeté qu’une chronologie), les rendus des documents ont été relativement similaires :

Il faut dire ici que ces élèves sont régulièrement amenés à travailler sur des schémas heuristiques et qu’ils ont déjà été conduits à travailler sur Piktochart précédemment. Dans ce groupe, je les ai simplement aidés en leur faisant rajouter des couleurs pour plus de lisibilité.

Le bilan est globalement satisfaisant, les élèves ayant tous inscrit leur indice dans une chronologie qui leur permettait d’apporter un éclaircissement sur leur indice.
La partie négative du bilan se trouve dans le manque d’explicitation de leur travail, ce qui a pu perturber certains groupes dans la séance 3.

Retour sur la séance 3.

Les élèves ont parfois eu un peu de mal à revenir sur le travail de leurs camarades. En effet, une grosse semaine s’était écoulée entre les deux séances et le manque d’explicitation des travaux évoqué précédemment les a pénalisé.

Voici un travail « moyen » d’un binôme. Moyen du fait qu’il est assez représentatif des travaux du groupe classe. L’aspect le plus négatif du travail est dans leur manque de maîtrise et d’habitudes sur le logiciel frisechronos.fr, ainsi que sur les repères temporels. En effet, les élèves n’ont pas réfléchi à une légende ou au sens de la mise en page qu’ils faisaient : pourquoi mettre certains éléments au-dessous de la frise ? Cependant, le groupe a globalement essayé de faire un effort de sélection des événements et de mise en avant de mêmes continuités. Ainsi, les élèves auteurs de cette frise ont voulu mettre en avant l’exploitation des ouvriers (en bleu), les moments de rupture (en rouge) et j’ai cru comprendre qu’en noir, ils souhaitaient mettre en valeur la solidarité ouvrière.

ÉLÉMENTS DE BILAN

Du point de vue de l’enseignant, le bilan à tirer de la séquence est contrasté :

La mise au travail a été une réussite car les élèves ont accroché à la mise en intrigue de la séquence. Ainsi, j’ai pu observer une hausse de l’implication dans la classe avec des élèves qui ont souhaité continuer d’eux-mêmes leur production documentaire, par leurs propres moyens ou au CDI.

Ceci est corrélé avec une plus grande réflexion chez les élèves, ce qui se traduit dans leurs écrits d’évaluation. En effet, si on reprend mon problème initial, à savoir que les apprenants sont limités dans leur conception du temps (situer, périodiser, borner, contextualiser), cette séquence a marqué des améliorations. Ainsi, dans leurs devoirs, les élèves ont mis en avant les causes et les conséquences et j’ai trouvé qu’ils faisaient plus facilement le lien entre deux événements. De même, j’ai observé dans les copies que les éléments de rupture comme la grève de Carmaux ou le Front Populaire font sens dans la globalité de la période et que les élèves leur donnent de l’importance. En somme, ils ont mis du sens derrière les nombres que représentent les dates.
De plus, d’un simple point de vue empirique, on peut tout simplement noter qu’ils sont plus capables de donner des dates dans leurs copies, révélant une meilleure mémorisation.

Cette séquence a également eu ses limites. Tout d’abord, l’effet de travail soulevé par l’énigme autour du meurtre s’est quelque peu essoufflé au bout d’un temps. Ensuite, certains éléments de la classe se sont retrouvés perdus en cours de séquence. Du fait d’absences ou de la trop grande complexité de la séquence, il a fallu prendre le temps de raccrocher ces éléments individuellement en début et en fin d’heure. Enfin, il faut bien dire que le fait de travailler sur les repères a eu pour effet négatif de créer une perception différente de l’histoire chez les élèves. Il se peut que certains élèves aient limité leur conception de la période historique à quelques dates, voyant ou percevant alors le reste comme superflues.

Une fois ce bilan tiré et si je ne devais ajouter qu’une seule amélioration, ce serait celle-ci. Le travail des élèves durant la séquence ayant majoritairement été celui d’un effort de synthèse, il pourrait être judicieux de garder une trace de la réflexion portée. Ainsi, peut-être qu’inscrire dans les activités la construction de petites capsules vidéos simples, avec Adobe Spark par exemple, permettrait d’apporter un éclairage pérenne dans le temps. De plus, cela faciliterait la tâche à ceux qui ont été perdus en cours de séquence, ou absents.

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