« Mais cet enfant écrit ! Quand a-t-il appris à le faire ? »
Je n’ai jamais appris à écrire ou les incipit. Aragon
Les apprentissages langagiers désignent régulièrement dans les programmes de français de collège et des lycées le développement de « l’expression » et de la « réflexion » « écrites et orales ». L’appropriation et une pratique aisée de l’écriture constituent ainsi des objectifs dont la discipline n’est pas la seule garante, mais pour lesquels elle mérite plus que jamais de s’appeler « fondamentale ».
Avec l’écriture (les écritures), et à travers elle(s), il en va en effet de l’expression, mais aussi de l’étude de la langue (au service de l’écriture, comme à partir de l’écriture des élèves) et plus largement des compétences de littératie des élèves et de leur capacité à utiliser la culture écrite pour penser et pour apprendre, pour se construire et s’insérer. Car les capacités d’expression entretiennent évidemment d’étroites relations avec les compétences langagières et linguistiques des élèves. Il n’y a pas de civilisation sans écriture en occident. Et Elsa Triolet de nous rappeler de Saint-Arnoult-en-Yvelines : « C’est quelqu’un que l’homme puisqu’il a trouvé l’écriture. L’écriture la plus noble conquête de l’homme. Le roman, intermédiaire entre l’homme et la vie. »
L’enseignement de l’écriture dans nos disciplines mérite d’être reconsidéré en tant que tel : quelles activités d’écriture proposer aux élèves ? Les progressions, au-delà des apprentissages premiers (lesquels s’effectuent assurément sur de longs cours), se limitent-elles à la typologie et à la longueur des exercices ? La traditionnelle tâche écrite finale, bilan des activités, fait de l’écrit un résultat, individuel et sommatif, qui ne permet pas d’accompagner les écrits des élèves dans leur processus et leur progression. Qu’il s’agisse de régularité ou d’amplitude, les élèves en effet écrivent trop peu, et les travaux qui leur sont proposés, parfois excessivement aimantés par les seuls exercices des examens, sont trop peu diversifiés. Les fragilités en matière de maniement de la langue, d’orthographe, d’organisation textuelle, de visée rhétorique, les réticences devant l’écriture, et la production d’un étayage parfois plus paralysant que déclencheur, sont autant de difficultés à analyser précisément pour entreprendre de les dépasser. Sans doute la richesse de la réflexion didactique concernant les apprentissages de l’écriture ne nourrit-elle pas encore suffisamment les pratiques pédagogiques. La régularité des activités, leur diversité, l’appel à l’inventivité, ou encore l’identification des freins et les stratégies de réconciliation avec l’écriture, dans un contexte culturel renouvelé, disposent dans les classes d’une large marge de progression et réclament une relance des formations. Qui plus est, de récents progrès concernant la place de l’oral dans le système éducatif, comme la concentration de l’actualité pédagogique en matière de lecture, risquent de minorer cette part majeure de nos disciplines.
Loin de s’opposer, les ambitions de l’enseignement du français s’articulent : savoir lire, savoir écrire et savoir parler s’adossent, mais réclament assurément une vigilance et un équilibre dans les activités proposées aux élèves. L’articulation des diverses facettes de l’enseignement du français se fait ici, plus que jamais, l’une des difficultés de la discipline. Si Aragon prétend ne « jamais avoir appris à écrire », s’il joue à enfouir ce qu’il appelle « ce commencement de moi », c’est, prétend-il, d’avoir « très vite appris à lire » – preuve d’une réversibilité complexe, même si dans ce cas mythologique, des compétences acquises. Mais l’enseignement ne peut évidemment pas plus se satisfaire du miracle que du génie : « quand a-t-il appris à le faire ? » aura constitué pour nos premières rencontres la question première, et décisive dans le bilan des pratiques actuelles.
Nos deux journées auront permis d’ouvrir quelques portes (de pratiques, de classes, de passions, de tiers-lieux), frapper à quelques serrures, lever quelques loquets, gratter quelques copeaux de chêne et tracer de possibles perspectives enjouées, enthousiastes, engagées, car comme nous le rappelle Michèle Mailhot dans La Vie arrachée, « toute écriture reste une audace et un courage », osons ensemble explorer quelques facettes de ce vaste sujet en Français, en Histoire, en Géographie.




