De la littérature à la géographie : lire par arpentage Les « Vendredis d’interlignes »

Les Vendredis d’Interlignes ont été décidés à l’AG 2023. Ce sont des webinaires plus courts que le Rendez-vous et qui portent sur des sujets plus « pointus ». Ils peuvent être proposés et organisés par tout membre de l’association accompagné par le bureau pour la logistique.
Cette année un Vendredi s’est tenu le 23 mai en visio-conférence de 16 h 30 à 18 h sur le thème
« De la littérature à la géographie : lire par arpentage »

Vous pouvez accéder à l’enregistrement de ce « Vendredi 2025 » (réalisé par Marie-Anne Brun Bernolle chargée de mission auprès de l’inspection pédagogique de lettres et adhérente de l’association).

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Compte-rendu de l’animation

Alex Antiste IEN lettres-histoire, académie de Versailles
« Origines et intérêts de l’arpentage au lycée professionnel »
Valorisée par la société et recommandée par les programmes, la lecture intégrale est une véritable gageure, notamment au lycée professionnel. Pour réconcilier les élèves avec la lecture, l’arpentage est une piste prometteuse. Le terme, initialement employé pour qualifier la mesure d’un terrain, désigne aussi une méthode de lecture collective où un groupe explore un ouvrage pour en défricher le contenu. La légende prétend que l’arpentage est né dans les milieux ouvriers du 19ème siècle ; il est apparu en réalité à la fin des années 1990 dans les organisations d’éducation populaire. Le principe est simple : chaque participant lit une portion d’un ouvrage, souvent déchiré, puis le groupe discute et partage collectivement son contenu. La pratique s’est diffusée dans les bibliothèques, les collectifs militants, et récemment, dans l’enseignement, grâce aux professeurs documentalistes et de français.
La mise en œuvre de l’arpentage commence par une observation du livre dans sa dimension matérielle (couverture, format). De nombreuses modalités existent. L’une d’elles, l’arpentage littéraire, invite chaque élève à résumer son fragment, permettant ensuite, lors de la mise en commun, une reconstitution orale du fil de l’histoire. Une autre, plus adaptée aux livres d’idées, consiste, après l’étude de la table des matières, à choisir un chapitre et à en expliquer sa compréhension au groupe, en s’appuyant sur des passages soulignés. Ces méthodes transforment la classe en une véritable communauté de recherche, où chaque élève détient un élément clé indispensable pour la compréhension de l’ensemble.
Même s’il est possible de le pratiquer en désignant simplement à chacun les pages qu’il doit lire, l’arpentage pur consiste à déchirer le livre en autant de blocs qu’il y a d’élèves dans la classe. Cet acte peut paraître sacrilège mais il s’agit avant tout d’un cérémonial qui vise à désacraliser l’objet-livre en le rendant moins intimidant et plus accessible.
Les bénéfices pédagogiques de l’arpentage sont multiples. Il permet de gagner du temps. Il dédramatise la lecture et la réhabilite en un véritable moment de partage. Il permet aussi la différenciation pédagogique et l’inclusion : l’enseignant pouvant ajuster la longueur et la difficulté des passages. Il renforce les liens au sein du groupe et développe à la fois les compétences de lecture et les compétences orales. C’est une méthode qui nourrit l’intelligence collective en facilitant l’appropriation d’œuvres longues ou complexes. Il développe certaines compétences psychosociales comme l’écoute et la communication et suscite l’envie de lire le livre en entier. Cependant, les élèves peuvent être déstabilisés par le manque de contexte qui exige une lecture plus fine. Par ailleurs, la phase de restitution demande une forte concentration. Enfin, l’enseignant doit maîtriser parfaitement l’ouvrage pour guider les échanges.
Ainsi, l’arpentage n’est pas une alternative à la lecture intégrale mais une stratégie de lecture partielle et une pratique collaborative stimulante et efficace qui développe non seulement la compréhension écrite et l’analyse mais aussi des compétences transversales fondamentales pour la vie en société.

Marina BOSSARD professeure de lettres-histoire-géographie au lycée Michelet de
Nantes
« Une séquence qui articule une activité de géographie à la lecture par arpentage d’une œuvre résistante ».
L’arpentage pratiqué régulièrement en français avec des romans et en co-intervention dans le cadre d’un projet sur la transmission de la mémoire est aujourd’hui tenté en géographie avec la BD d’Inès Léraud, Les algues vertes, l’histoire interdite,
Pourquoi cette BD ? Il s’agit d’une enquête journalistique menée par une journaliste indépendante, enquête transposée en BD. L’interêt est que cette oeuvre permet de croiser français, géographie et EMC. Pour faire référence à l’intervention de Pierre Colin du 29 mars dernier (Rendez-vous interlignes 2025), elle permet de faire de la géographie citoyenne, ce qui doit être l’essence même de la géographie que l’on enseigne.
Il s’agit enfin d’une BD que l’on peut qualifier de résistante, du fait des nombreux acteurs qui interagissent. C’est-ce qui a guidé la genèse de cette séquence qui s’adresse à deux classes de seconde baccalauréat professionnel d’un lycée du bâtiment au profil différent.
La séquence répond à l’objet d’étude « s’’informer, informer, les circuits de l’information » à partir d’une double problématique : Comment produire et diffuser de l’information de manière responsable ? Quels sont les enjeux de la mondialisation ?
Après une première séance qui permet de voir quelle est la place de la filière porcine bretonne dans la mondialisation, la séance 2 met en place une démarche d’arpentage de la BD. L’objectif est de construire des schémas systémiques pour comprendre les interactions entre les nombreux acteurs de ces affaires liées aux algues vertes et de leur donner un titre.
Chaque élève dispose d’un PC portable avec accès à Internet et travaille en autonomie.
La BD est divisée en 7 chapitres distribués en tenant compte de la difficulté du passage et du niveau de l’élève.
C’est une activité de manipulation : chaque élève dispose d’un schéma et d’un ensemble d’étiquettes pour le compléter.
Une fois leur schéma construit, les élèves doivent lui donner un titre, ce qui permet de vérifier s’ils ont bien compris (compétence de français liée au corpus pour l’épreuve du bac.) et après correction des schémas par le professeur chaque élève présente oralement son travail à classe.
Ce projet s’appuie sur une pédagogie active - les élèves ont véritablement été acteurs dans toutes les activités de manière assez autonome - et s’efforce d’enseigner une géographie citoyenne, ce qui permet de réfléchir à ses propres pratiques, à sa propre consommation, de réfléchir à une vision plus globale des choses : on ne se contente pas du constat de la présence des algues vertes, on élargit le spectre pour comprendre les tenants et les aboutissants.
De plus, il développe des compétences transversales : lecture, travail collaboratif, communication orale, compétences rédactionnelles, organisation de sa pensée et aboutit à la compréhension de ce qu’est un schéma systémique et permet l’acquisition des notions de pouvoirs publics, d’ONG, d’ODD.

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Julie Maurice professeure d’histoire-géographie, formatrice à l‘INSPÉ de Versailles, doctorante en géographie.
« La BD en classe de géographie, de la création à l’arpentage »
La bande dessinée est un médium complexe à appréhender, en raison de l’interdépendance entre le texte et l’image. Son utilisation en contexte scolaire peut être propice au développement d’un raisonnement géographique par les élèves, c’est-à-dire un raisonnement à la fois multiscalaire, ancré dans l’espace et dans une temporalité, qui mobilise des acteurs (géographiques) dotés d’un discours sur l’espace et des concepts.
Cette présentation est l’occasion de présenter deux démarches qui mobilisent la bande dessinée.
  Une démarche de création de bande dessinée élaborée dans le cadre d’une recherche
doctorale pour que les élèves mettent en œuvre un raisonnement géographique. Socio-constructiviste et spiralaire, cette démarche contribue à transformer les élèves en acteurs dans la mesure où ils incarnent, dans la bande dessinée, des acteurs. Après l’étude d’un dossier documentaire centré sur les différents acteurs d’une situation géographique, les élèves identifient les différents acteurs, leurs intentions, échelles d’impact, etc. et organisent leurs interactions dans un schéma actantiel. Lors d’une institutionnalisation intermédiaire, les élèves conceptualisent sous forme de carte heuristique ou mentale. Puis, ils rédigent le scénario en recourant au vocabulaire, notions et concepts géographiques, le découpe et organisent le storyboard, soit l’espace du récit.. Munis d’outils de métacognition, les élèves vérifient à chaque étape la mobilisation du raisonnement géographique et améliorent leur travail. La conception de bande dessinée peut leur permettre à la fois d’acquérir les codes de la bande dessinée et de s’approprier le raisonnement géographique, tout en les amenant à développer une pensée complexe et à mieux comprendre comment se fabriquent les territoires.
  Une séquence qui porte sur la compréhension des enjeux de la question socialement vive
des algues vertes en Bretagne, à travers l’analyse par arpentage de la bande dessinée Algues vertes, l’histoire interdite, et la mise en œuvre d’un débat. Le modèle agricole breton, connu pour ses élevages hors-sol et l’utilisation de pesticides et produits phytosanitaires contribue largement à la prolifération des algues vertes, véritable fléau en Bretagne, en raison notamment de leur dangerosité lors de leur décomposition. Pourtant, une véritable omerta s’est installée. La bande dessinée de reportage Algues vertes, l’histoire interdite, dénonce l’inaction des pouvoirs publics dans un reportage à charge. Sandra Nessah, enseignante à Loudéac, dans un mémoire de Master 2, propose une lecture par arpentage de cette œuvre à ses élèves de première. Son objectif est de faire comprendre aux élèves les jeux d’acteurs. Après une analyse centrée sur les acteurs qui utilise les mêmes outils que dans la séquence précédente, les élèves organisent un débat où les élèves incarnent ces acteurs et développent un argumentaire fondé sur les sources proposées par la bande dessinée. Enfin, les élèves cartographient la controverse, ce qui permet à l’enseignante de vérifier la bonne compréhension de la situation géographique étudiée et de ses enjeux.
placer ici le diaporama de julie Maurice
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Les échanges lors de la table ronde

Fatiha Cherara IEN lettres - histoire, académie de Créteil ; Aurore Lecomte MCF université de Clermont Ferrand ; Marina Bossard, enseignante de lettres-histoire-géographie, académie de Nantes et Julie Maurice , professeure d’histoire-géographie, formatrice à l‘INSPÉ de Versailles
Fatiha Cherara entame la table ronde en notant que « nous avons assisté à la présentation de démarches stimulantes autour d’un support, la BD, démarches qui montrent que la géographie peut donner et se donner à lire. Par ailleurs, la bande dessinée et le schéma géographique sont tous deux des pratiques langagières, l’une séquentielle – la BD – l’autre systémique – le schéma. Les deux mènent à la pensée complexe et font émerger des enjeux langagiers : comment dire des corrélations, des liens de causes à effets, des relations d’influence, de pouvoir entre acteurs divers etc … »
Les intervenants s’interrogent sur Ies difficultés des élèves dans la lecture de planches complexes d’où la nécessité de préciser le vocabulaire géographique (souvent pas ou mal maitrisé par les élèves) : ONG, érosion. La bande dessinée est souvent considérée comme une lecture facile mais certaines BD se révèlent résistantes (concept utilisé par Catherine Tauveron en littérature de jeunesse).
Marina Bossard rejoint Fatiha ; la « résistance » est, dans cette situation, due au manque de vocabulaire. Pour faire face à cela, en classe, on peut poser des questions différentes en tenant compte du profil de chaque élève. On a aussi le droit de donner la définition d’un mot essentiel, d’expliquer la thématique, le terme d’« acteurs » par exemple souvent mal appréhendé par les élèves qui n’en perçoivent que la dimension individuelle. Pour pallier la difficulté de s’exprimer autrement que par les mots, la création de schémas heuristiques et en particulier ici de schéma systémique va aider les élèves. Julie explique que lors de la réalisation d’une BD par les élèves, ces derniers doivent faire des choix entre l’image et le texte, ce qui permet de vérifier la compréhension du concept ou de la situation géographique.
L’intérêt de la démarche du schéma est souligné par les intervenants : le plus souvent, le schéma est appréhendé comme un point d’arrivée mais en réalité, c’est bien sa réalisation et donc le processus de conception qui le sous-tend et qui le rend intéressant car la réalisation d’un schéma offre aux élèves d’éprouver une pensée en évolution, une pensée au travail, pour faire les liens entre les idées, les concepts, les notions. Le schéma aboutit à une conceptualisation de la pensée et contribue au développement de l’esprit critique.
Marina Bossard rappelle qu’un des enjeux est de construire chez les élèves un esprit critique et une démarche citoyenne. Dans l’activité finale de rédaction d’un article de presse sur l’affaire des algues vertes, les titres donnés par les élèves montrent qu’ils ont compris que la géographie met en avant des conflits sociétaux ; mais ces titres peuvent traduire aussi la critique du système et la méfiance du pouvoir par les élèves. Aussi, ils conduisent à se demander : comment faire pour construire les enjeux citoyens et l’esprit critique des élèves en leur faisant dépasser les croyances et la posture de méfiance ? Pour Fatiha Cherara, c’est tout l’intérêt d’une démarche de géographie citoyenne : ainsi, les élèves apprennent à observer, vérifier, prendre de la distance, ce qui permet de ne pas tomber dans la disqualification du politique voire du complotisme.
Julie Marchand fait par ailleurs observer que la BD « les Algues vertes » est une œuvre avec un parti pris que l’on pouvait travailler à faire percevoir aux élèves. Pour Marina Bossard, il est également important de montrer le rôle des sources pour faire naitre chez les élèves un avis plus nuancé. Julie complète en arguant qu’il faut envisager une projection plus universelle, et attirer l’attention de la classe sur le rôle des journalistes et des lanceurs d’alerte, fondamental dans, et pour, la démocratie.
Fatiha revient sur l’intérêt d’une géographie citoyenne qui croise ave l’EMC et les enjeux de l’information, car cela permet de poser que, quand bien même on nous « cacherait » des choses, la démocratie offre des opportunités pour l’établissement des faits, la confrontation des sources et in fine le rétablissement de la vérité, avec en son cœur le travail des journalistes et des lanceurs d’alerte.
Aurore Lecomte insiste sur l’importance de la notion d’acteurs dans la géographie scolaire à partir de 2008. Dans les manuels scolaires on n’observe jamais plus de deux points de vue d’acteurs alors que les situations sont souvent beaucoup plus complexes. Il faut considérer les jeux d’acteurs comme un système dynamique : les élèves découvrent, incarnent des jeux d’acteurs en créant de la BD. Ils apprennent à développer des arguments. L’acteur est aussi parfois un « collectif ».
Cela permet d’accéder à une vision plus globalisante, d’éviter des réductions simplistes, manichéennes. Les intervenants sont unanimes pour souligner l’accent mis sur la co-construction du sens.
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Bibliographie - sitographie

le collectif pensée spatiale propose des outils :
  Boite à outils | Genially :
https://view.genially.com/657c5d2e17938f0014b3fa42/interactive-image-boite-a-outils
  Apprendre la géographie par l’expérience
https://geoexperientielle.blogspot.com/
  TAUVERON Catherine réflexion sur les textes résistants « Lire la littérature à l’école »

Les échanges relevés sur le chat

• Á propos de quel outil numérique peut-on utiliser pour créer l’image BD, l’I.A est une
piste. Mais dans la création de la BD présentée ce jour, le dessin a été réalisé en classe, devant le professeur , avec des crayons.
• . Est-ce que l’arpentage consiste à assigner à chaque groupe d’élèves la lecture de
certains passages pour une restitution orale ?
Alex Antiste précise d’abord qu’il est possible de donner les pages sans déchirer le livre. Ensuite une séance d’arpentage peut se faire complètement à l’oral finalisé par un bilan écrit.
Marina Bossard ajoute qu’on peut aussi réaliser une exposition ou une autre restitution écrite sous forme collaborative.
• Á propos de la durée globale de cette séquence pluridisciplinaire, elle est difficile à
évaluer compte tenu des projets, mais il faut compter 3 semaines en globalisant les heures.
• Je souhaiterais savoir si des collègues utilisent la BD en classe, en histoire ou en
géographie, et si oui quel (s) titre (s) mobilisent ils ?
Très peu d’enseignants utilisent la BD en classe de géographie. Ceux qui l’utilisent disent faire reférence aux BD de leur enfance comme les aventures de Tintin qui ont suscité l’ intérêt au monde et donc pour la géographie.
En histoire un professeur cite Maus
En Français la BD sur Thomas Pesquet « Dans la combi de Thomas Pesquet » de Montaigne Marion
Chatgpt propose « La Terre sans mal » d’Emmanuel Lepage
En séquence pluridisciplinaire Français/ géographie voir « Immigrants africains » de Joe Sacco. Consulter l’article de Bahar Moumen dans le numéro 55 d’interlignes de juin 2025 qui propose une séquence pédagogique

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