Les valeurs de la république : la liberté d’expression et la caricature

, par Samuel Duclos

L’outil sondage Mentimeter est un moyen dynamique de lancer une réflexion sur la liberté d’expression. Cette réflexion débouche sur la réalisation d’une caricature de l’enseignant qui permet aux élèves de jouir de leur liberté d’expression tout en respectant les limites fixées par la loi.

« Sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits », Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, 1778.

Jusqu’où la liberté d’expression peut-elle aller ? Depuis l’attentat contre Charlie Hebdo et l’assassinat de Samuel Paty, cette question est d’une brûlante actualité. Potentiellement sensible à traiter en classe, elle est inévitablement reliée, pour de nombreux élèves, à cette question sous-jacente : peut-on critiquer/caricaturer les religions ? Selon un sondage de l’IFOP en date du 3 mars 2021, 52% des lycéens se déclarent défavorables au « droit de critiquer, même de manière outrageante, une croyance, un symbole ou un dogme religieux ». De quoi provoquer des débats houleux tant les sensibilités peuvent être discordantes sur la manière d’exercer la liberté d’expression sur ce point.

Le premier thème du programme d’EMC en 2nde Bac Pro, intitulé « La liberté, nos libertés, ma liberté », nous conduit à aborder la notion de « libertés individuelles et collectives ». Dans ce cadre, la liberté d’expression doit être présentée à travers la question suivante : « peut-on tout dire et tout écrire ? ». Rien n’oblige les professeurs à travailler cette question en abordant la caricature, mais comme cette pratique est capable de pousser la liberté d’expression dans ses retranchements, elle représente un curseur important de notre qualité démocratique ; cela fait d’elle un objet d’étude pertinent pour expliquer le lien entre liberté d’expression et démocratie, comme les programmes nous invitent à le faire.

Comment alors aborder ce thème de la liberté d’expression ? Cette proposition pédagogique a été réalisée avec une classe de 2nde BAC PRO à l’occasion d’une action d’établissement menée sur le thème « Laïcité et liberté d’expression ». Certaines pratiques comme l’usage de MENTIMENTER et la fabrication de caricatures en cours sont facilement adaptables pour le programme d’EMC en Bac Pro ou en CAP.

1 – Le recueil des représentations

Comme indiqué dans la fiche Eduscol intitulée « pratiquer le débat en EMC  », le débat s’inscrit dans une progression pédagogique qui s’amorce en classe de 2nde où « les élèves débattent à partir de leurs expériences personnelles, pour parvenir, collectivement, à une position partagée ». Je voulais ainsi partir des acquis des élèves et de leurs ressentis. Mentimeter est un outil de présentation numérique en ligne qui permet justement de favoriser l’expression de chacun des élèves. Comment fonctionne-t-il ?
MENTIMETER s’utilise de la même manière que Kahoot !, mais offre des fonctionnalités différentes. Il permet de répondre de manière interactive et anonyme à un sondage ou à une question ouverte. L’enseignant doit créer un compte sur https://mentimeter.com pour créer sa présentation. Une fois en classe, le professeur lance sa présentation depuis son ordinateur/TNI qui fournit aux élève une adresse de connexion (https://menti.com) ainsi qu’un code à 6 chiffres pour leur permettre de répondre à un vote ou une question ouverte. Après avoir validé leur réponse, les résultats apparaissent anonymisés directement sur le TNI, comme le montre la capture d’écran ci-dessous :

La version gratuite de Mentimeter offre des fonctionnalités réduites qui sont largement suffisantes pour un usage en cours. Comme le détail le lien suivant, le nombre de questions est certes limité à deux par questionnaire, mais il suffit de multiplier les questionnaires, ainsi que nous l’avons fait. De plus, différents types de présentations sont possibles afin d’adapter leurs usages à de nombreuses situations comme le montre la capture d’écran ci-dessous : question à choix multiples, quizz, nuage de mots, question ouverte…

Au-delà de ses différentes fonctions, Mentimeter tient surtout ses promesses d’interactivité. Sa simplicité d’utilisation, l’usage de portable/tablette, l’affichage des réponses en instantané au TNI sont autant d’éléments qui facilitent l’implication de chacun des élèves. Plutôt que l’oral en lancement de cours, l’usage de l’écrit, sous forme brève et de manière ludique, a permis à la quasi-totalité de la classe de s’exprimer avant de construire à l’oral une position commune.

2 – Le travail de recherche et de documentation

A partir des réponses des élèves, nous construisons alors une définition de la liberté d’expression. Le professeur apporte les sources suivantes :
◦ Déclarations des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ;
◦ Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 ;
◦ Arrêt Handyside de la Cour européenne des Droits de l’Homme (1976).

Dans la première capture d’écran Mentimeter, les réponses de certains élèves semblent indiquer que la liberté d’expression n’est pas totale et qu’elle possède des limites : « sans porter atteinte à autrui », « s’exprimer dans le respect et la bienveillance », « dans le respect de la loi », « sans pour autant être vulgaire, être méchant ». Des affirmations parfois fausses, même si l’idée d’une liberté d’expression encadrée se retrouve aussi dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen (Art. 11 : « sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi ») ou dans l’Arrêt Handyside. Avec Mentimeter, nous posons la question suivante pour préciser les représentations des élèves :

Ce petit groupe d’élèves possède déjà une bonne idée des limites à cette liberté. Quelques réponses offrent toutefois des nuances incorrectes : « On n’a pas le droit de parler de religion au lycée », « le respect envers les gens » ou « le respect des lois et des autres ». C’est justement dans ces erreurs que se situe tout l’intérêt d’un débat auquel le professeur interviendra comme régulateur. Peu importe la divergence des points de vue ou des représentations d’ailleurs, un cours sur la liberté d’expression doit pouvoir permettre la libre expression des élèves dans le respect de la loi, comme nous le rappellent le point 8 de la Charte de la Laïcité ainsi que la fiche EDUSCOL intitulée « Le Débat réglé (ou argumenté) » :
« Le débat est par excellence constitutif de l’espace public en démocratie […]. La liberté d’expression a pour corollaire l’acceptation de ces désaccords qui s’expriment dans le débat. Toutefois, il ne doit pas entretenir l’idée que toutes les opinions se valent. L’expression de la pluralité des points de vue doit se faire dans le respect des valeurs de la démocratie et se référer au cadre juridique qui organise cette liberté »

3 – Exprimer son point de vue

A partir des réponses des élèves et à l’aide de documents (comme par exemple cet extrait du journal de 20h ou cette vidéo du CLEMI ) :

, le débat permettra de construire une synthèse des différentes limites à la liberté d’expression en France. Le professeur se gardera de donner son point de vue, mais se réfère au cadre juridique auquel il pourra apporter du sens. En effet, contrairement à ce que certaines réponses des élèves semblent indiquer, la liberté d’expression permet de critiquer les personnes dans le respect du cadre légal. Elle protège aussi le droit de s’attaquer aux idées, donc aux religions perçues comme un système de pensée. En somme, celle liberté peut à l’occasion être blessante ou « manquer de respect », mais l’usage de ce droit reste encadré par la loi, ce que l’on synthétise (dans une version simplifiée) au terme du débat :

C’est donc après avoir rappelé ce cadre légal, qu’avec Mentimeter nous posons la question suivante :

Sur 12 réponses, on observe trois réponses favorables à ce droit, huit réponses qui expriment une méfiance, deux réponses sans avis : autant de points de vue que les élèves préciseront et argumenteront au cours d’un débat. Le rôle de régulateur du professeur est alors essentiel. Il pourra par exemple rappeler que :
• La caricature, comme les autres manifestations de la liberté d’expression, est encadrée par un cadre légal justement expliqué en amont. Il ne s’agit pas en classe de savoir si une caricature plaît ou non, mais bien de se poser la question suivante : est-ce que celle-ci respecte la loi ?
• La caricature est un moyen d’exercer sa liberté d’expression. Cette liberté est un droit fondamental car la libre circulation des idées est essentielle à la prise de décision dans nos démocraties représentatives. De plus, cette liberté va de pair avec toutes les autres : liberté de la presse (1881), liberté syndicale (1884), liberté d’association (1901), liberté de manifestation (1935), liberté du vote (1848/1945) qui ont par ailleurs été conquises au cours d’un long processus. Inversement, un pays où il est interdit de se moquer/caricaturer pour critiquer une pensée politique ou religieuse est un système autoritaire avec des restrictions globales sur les libertés.
• Dans cette capsule vidéo de Thomas Snégaroff pour France Info, ce bref récapitulatif sur l’histoire de la caricature montre que cette pratique est un contre-pouvoir. L’usage d’un dessin satirique facilement compréhensible est une forme d’expression accessible au peuple pour contester toutes formes de domination, qu’elles soient d’ordre politique, religieuse, économique. Restreindre l’usage des caricatures représenterait donc un risque pour l’équilibre démocratique.

4 – Mettre en pratique sa liberté d’expression : « caricature ton professeur »

Au terme de ce travail, il est proposé aux élèves d’user de leur liberté d’expression en caricaturant leur professeur. A différentes occasions dans l’année, celui-ci rappelle en effet les bases de la démocratie et son cadre légale dans la République française, or le fonctionnement d’une classe ressemble beaucoup plus à un système de despotisme éclairé qu’à une démocratie participative ! Comme l’évoque le dessinateur Jul : « un caricaturiste qui prend le pouvoir, inverse la polarité […]. Moi, quand j’étais à l’école, je faisais des caricatures de mes profs et je me rendais compte que d’une certaine façon je prenais le pouvoir, je faisais marrer la classe au dépend du professeur et lui avait besoin d’intégrer ça pour ne pas perdre les rieurs  » [1]
. Il s’agit donc pour les élèves de marcher dans les pas d’autres caricaturistes et d’exercer ici une forme de contre-pouvoir face à la toute-puissance – certes relative - de leur professeur ! Voici une sélection de leurs réalisations :

 [2]

Certaines de ces œuvres sont réussies, d’autres sont décevantes. Sans doute aurait-il fallu que le professeur interroge les élèves en amont sur les traits à caricaturer pour une meilleure réussite de l’activité. Par ailleurs, afin que celle-ci se déroule convenablement, mieux vaut une classe avec une coloration artistique et être en confiance avec ses élèves : c’était le cas. Avant de lancer l’activité, le professeur peut, au besoin, rappeler les limites de la liberté d’expression, ce qui permet de voir s’ils ont retenu les connaissances de la séance précédente tout en évitant d’éventuels débordements. L’activité « caricature ton professeur » sans être porteuse de connaissances pour les élèves les met en position d’acteurs responsables de la liberté d’expression. Elle permet en outre, dans un temps réduit de 30 minutes, de leur permettre d’exercer un droit à la caricature tout en bénéficiant d’un temps de cours fort agréable.

L’activité « caricature ton professeur » a été réalisée avec Mme DOMINEAU (professeur de Génie industriel textiles et cuir), sur une idée de Mme SENOT et M. BOLAY (professeur de lettres-Histoire), avec la complicité des élèves de Métiers de la Mode et du Vêtement du lycée Adrienne Bolland de Poissy

SITOGRAPHIE

https://eduscol.education.fr/histoire-geographie/actualites/actualites/article/caricature-et-violence-de-lhistoire.html
http://www.lacontemporaine.fr/collections/quels-documents/peintures-dessins-et-gravures?com_content=&id=106
https://cache.media.eduscol.education.fr/file/021120/14/9/2_novembre_2020_ressources_pour_EMI_1344149.pdf
https://www.clemi.fr/fr/ressources/nos-ressources-pedagogiques/ressources-pedagogiques/aborder-caricatures-et-dessins-de-presse-en-classe.html
https://www4.ac-nancy-metz.fr/clemi-lorraine/2020/11/07/dessin-productions/

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