Un cours - une expo : juifs et musulmans de la France coloniale à nos jours. MNHI, 5 avril - 17 juillet 2022

, par Sophie Gaujal, Stéphanie Galindo

L’exposition "Juifs et musulmans en France de l’Empire colonial à nos jours" se déroule actuellement et jusqu’au 17 juillet 2022 au Musée national de l’histoire de l’immigration (MNHI). Comment articuler la visite de cette exposition et le cours d’histoire ? Vous trouverez ici une proposition, présentée le 5 avril lors de la journée académique, à l’articulation entre le collège, le lycée général et technologique et le lycée professionnel. Elle s’appuie sur un document, qui est également un des fils rouges de l’exposition : le décret Crémieux.

Niveaux

 Quatrième, thème 2 : "l’Europe et le monde au XIXe siècle : conquêtes et sociétés coloniales"
 Première G et T thème 3  : « la Troisième République avant 1914 : un régime politique, un empire colonial » 
 Terminale HGGSP thème 3  : « histoire et mémoires »
 CAP, thème 1 : «  la France de la Révolution française à la Ve République : l’affirmation démocratique  »
 Terminale BCP, thème 2 : « vivre en France en démocratie depuis 1945  »

Document : le décret Crémieux
Une copie officielle de ce décret est présentée au début de l’exposition.

Photographie du cartel

Intérêt du document

Le document peut être abordé autour de 3 axes :

1/Un décret qui rallie - Le décret Crémieux a été adopté depuis Tours par le gouvernement de la défense nationale le 24 octobre 1870. Il est signé notamment d’Adolphe Crémieux et accorde la citoyenneté française à tous les juifs d’Algérie. Il s’agit alors pour l’État français de rallier la communauté juive d’Algérie composée de 37 000 personnes, dans un contexte dans lequel le gouvernement doit affirmer sa légitimité et élargir ses bases face à la contestation parisienne, pour se faire reconnaître de la province et des colonies.
2/ Un décret qui sépare - Dans le même temps, le décret Crémieux sépare. En effet, les mêmes droits ne sont pas donnés à la communauté musulmane. Jusque-là, juifs et musulmans pouvaient accéder à la citoyenneté française en en faisant la demande. Ainsi ce décret, contrairement au sénatus-consulte du 14 juillet 1865 qui accordait déjà, sur demande individuelle, la nationalité française aux indigènes juifs et musulmans d’Algérie qui le désiraient, propose la naturalisation collective et de facto de la majeure partie de la population juive vivant en Algérie. Les 3 millions de musulmans d’Algérie, eux, sont maintenus sous le statut d’indigénat. Pour reprendre l’expression de Benjamin Stora, le décret marque “le début d’une désunion” : en faisant entrer les juifs d’Algérie dans la cité française, il jette les deux parties sur des voies parallèles qui, par définition, excluent toute possibilité de convergence. Il faut cependant nuancer la situation : communautés juive et musulmane conservent des liens en Algérie jusqu’à la décolonisation.
3/ Un décret qui divise - Les colons européens installés en terre algérienne, pour beaucoup marqués par une culture antisémite forte, s’élèvent contre le décret. En effet, avec le décret Crémieux, la majorité de la population juive d’Algérie obtient le droit de vote et peut donc peser sur les élections. Ainsi de virulentes positions de rejet apparaissent.

Exploitation du document avec les élèves

 Comprendre le sens général du document - L’arrêté pris en 1870 attribue une pleine citoyenneté française à 37 000 personnes dans cette colonie de peuplement qu’était l’Algérie depuis près d’un demi-siècle.
 “Pourquoi à ce moment-là et pas à un autre moment ?” Le contexte - Cinq ans plus tôt, en 1865, le sénatus-consulte du 14 juillet avait traité conjointement du sort des « indigènes », musulmans ou juifs algériens, au regard de la nationalité française : musulmans et juifs étaient français, la sujétion ottomane ayant été supprimée avec la conquête et l’annexion, mais ils ne jouissaient pas des droits des citoyens français car ils avaient un statut juridique personnel spécifique, d’origine religieuse. Pour devenir pleinement citoyens, précisait le sénatus-consulte, ils devaient en faire la demande et se plier, comme les étrangers, à une procédure de naturalisation dont l’attribution demeurait une prérogative de l’État. C’est l’échec de cette procédure de naturalisation qui explique la nécessité d’une mesure plus radicale comme le décret de 1870.
 Pourquoi Adolphe Crémieux en 1870 ? - L’homme, avocat franc-maçon issu d’une famille qui s’est installée à Nîmes dans le négoce des étoffes, touche à la fin de sa carrière politique, en 1870 : natif de la toute fin du siècle précédent, il s’était rallié à la gauche républicaine sur le tard, en 1848, mais entrait tout de suite au gouvernement provisoire. En 1870, il est élu député de Paris sitôt la Troisième République proclamée et retrouve le ministère de la Justice dans la foulée. Adolphe Crémieux a également participé à la création de l’« Alliance israélite universelle », dont il est devenu par la suite le président (de 1863 jusqu’à sa mort), avec l’objectif de protéger les Juifs où qu’ils soient. C’est donc lui, né en 1796, cinq ans après l’émancipation des Juifs de France, qui achèvera d’unifier leur sort en naturalisant les Juifs d’Algérie. A l’arrivée au pouvoir d’Adolphe Crémieux, l’histoire des Juifs de France, tout comme la sienne, est imprégnée d’un certain élan assimilationniste. Son parti-pris de poursuivre la trajectoire en naturalisant tous les Juifs d’Algérie ne représente donc pas un virage, même s’il peut aussi s’expliquer par un début de contexte insurrectionnel, sur le sol algérien, et un souci de la part des républicains modérés de peaufiner des équilibres électoraux en modifiant les contours du corps électoral.
 Identifier et questionner le sens du document, sa portée et sa postérité - Le décret entraîne des retombées immédiates et plus lointaines. Il a des effets directs et indirects sur la communauté juive comme sur les populations européennes et musulmanes de l’Algérie, sans même que l’ensemble des acteurs de cette histoire ne prennent nécessairement la pleine mesure de ce qui s’opérait alors. Avec la population musulmane, une frontière se dresse aussitôt : eux ne sont concernés que par le statut d’indigène, et, rapidement, par le code de l’indigénat, c’est-à-dire un droit à part, voté en 1881. Ce basculement des juifs par le droit, dans le camp du dominant, exacerbe les sentiments d’injustice et d’inégalité ainsi que les tensions entre les deux communautés.
 De l’étude du document à la trace écrite - A travers l’étude du décret Crémieux et d’un territoire, l’Algérie, on voit émerger, dans le cadre des transformations résultant de la colonisation, une triangulation entre trois catégories d’acteurs tour à tour unis et séparés, ce qui offre une grille de lecture pour découvrir le parcours proposé par l’exposition. La trace écrite peut prendre la forme d’un schéma pour formaliser cette triangulation, en proposant aux élèves de qualifier les relations entre les différents acteurs étudiées à partir du document à l’aide d’une liste de mots-clés, que les élèves peuvent compléter.


 Du cours à l’exposition, de l’exposition au retour en classe - La relation triangulaire entre les trois acteurs est une grille de lecture intéressante pour visiter l’exposition. Ainsi, on peut demander aux élèves, au cours de leur visite, construite de manière chronologique, de sélectionner des documents montrant comment ces relations évoluent au cours du temps : avant le décret Crémieux, le décret Crémieux le 24 octobre 1870 , l’abrogation du décret Crémieux le 24 octobre 1940 (70 ans jour pour jour après sa promulgation), et aujourd’hui. De retour en classe, par groupe, les élèves proposent un parcours dans l’exposition, en utilisant par exemple, outre le décret Crémieux :
>Le senatus consulte sur l’état des personnes et la naturalisation en Algérie du 14 juillet 1865
>Le code de l’indigénat
>Le portrait d’Adolphe Crémieux
>"Le décret Crémieux vu d’ailleurs", entretien avec Jessica Marglin
>La circulaire du 7 octobre 1940 abrogeant le décret Crémieux
>Les 3 planches du tome 10 du roman graphique "le chat du Rabbin, rentrez chez vous !", Joann Sfar, 2020, édition Dargaud.

Conclusion

Les deux plus importantes communautés juive et musulmane d’Europe vivent aujourd’hui en France. L’exposition nous offre de nombreuses pistes sur la manière de travailler avec nos élèves, à travers nos programmes, sur la question des relations entre juifs et musulmans dans le temps long, en se détachant d’une vision partielle uniquement orientée sous l’angle du conflit israélo-palestinien.

Il pourrait s’agir tout d’abord, dans le cadre de l’étude de la colonisation et de la décolonisation, de revenir sur les raisons historiques et sur les choix politiques qui ont donné lieu aux ruptures et aux conflits entre les deux communautés après sept siècles de présence juive dans le monde musulman, mais également sur les fraternités politiques et culturelles qui ont d’abord existé dans l’espace colonial puis sur le sol en métropole. Il s’agirait ensuite de faire comprendre de quelle manière la montée des nationalismes et la confessionnalisation des conflits politiques exacerbent le clivage des identités et de montrer que la réduction de ces catégories de français à leurs seules identités religieuses et conflictuelles est récente.

Les relations entre les deux communautés ont toujours été complexes, elles ont évolué au fil de l’Histoire et sont étroitement dépendantes des événements internationaux. De plus, ce ne sont pas des relations bilatérales mais trilatérales : la manière dont l’État français s’est positionné par rapport à l’une et à l’autre de ces communautés est fondamentale. Ainsi le décret Crémieux de 1870, qui accorde aux Juifs d’Algérie la nationalité française, a favorisé une meilleure intégration des juifs dans une Algérie devenue française tandis que les musulmans restaient, eux, réduits au statut d’indigène. Il peut s’agir d’un point de départ pour mettre en évidence le rôle essentiel de la France et de l’État dans la transformation de ces relations, tant en Afrique du Nord qu’en France métropolitaine.

Les nombreuses pistes d’exploitation pédagogique offertes par l’exposition, favorisant ainsi la mise en perspective de nos programmes, permettent de retracer l’histoire sociale, politique et culturelle des rapports entre juifs et musulmans en France métropolitaine jusqu’à à nos jours.

Pour aller plus loin

Katz Ethan B, Juifs et musulmans en France. Le poids de la fraternité. Belin, « Contemporaines », 2018
Dossier pédagogique "Juifs et musulmans de la France coloniale coloniale à nos jours", département de la pédagogie, Véronique Servat, MNHI
Le site du MNHI

Poursuivre les échanges le mercredi 18 mai 2022 au MNHI

De 9h à 18h, colloque international, organisé par le département de la recherche, Mathias Dreyfuss et Ethan Katz, dont le livre « Juifs et musulmans. Le poids de la fraternité » a servi de socle à l’exposition.
A 19h, rencontre avec Ethan Katz, animée par Mathias Dreyfuss

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