La mémoire retrouvée

, par Laurent Dinel

A l’occasion du Centenaire de la Première Guerre mondiale, la classe de Terminale Bac MVA du lycée Petiet de Villeneuve-la-Garenne a mené un projet qui a conduit à la réalisation d’un court-métrage intitulé "La mémoire retrouvée".

Par Laurent Dinel, professeur de Lettres-Histoire au lycée Petiet de Villeneuve-la-Garenne (92)

Ce court-métrage est la rencontre entre des élèves et des adultes qui ont appris au cours d’une année scolaire à réaliser un projet ensemble. Ce film veut rappeler à tous notre devoir de mémoire. Il parle aussi de chacun d’entre nous.

Cette aventure a débuté en avril 2013 lorsque la classe de Première Bac Pro MVA du lycée Charles Petiet est allée voir plusieurs films au cinéma Malraux de Villeneuve-la-Garenne dans le cadre du dispositif Lycéens au Cinéma. Les élèves ont à cette occasion pu rencontrer Luc Pitois, le directeur du cinéma. Leur intérêt pour la mise en scène et leurs réflexions nous ont donné envie de réaliser avec eux un court métrage. Nous n’avions toutefois pas pris conscience à ce moment-là de l’implication qu’un tel projet allait nécessiter de notre part et de celle des élèves.

Quelques semaines plus tard, alors que les médias commençaient à s’intéresser aux commémorations du centenaire de la Grande Guerre, j’ai réalisé en discutant avec plusieurs élèves que ce que des millions d’hommes et de femmes avaient vécu à cette époque était peu à peu en train d’être oublié. Il nous a donc paru important de travailler autour de cette période pour essayer de lui redonner un sens. Notre sujet de film était trouvé.

Notre lycée forme surtout des jeunes aux métiers de l’automobile. Il porte le nom de Charles Petiet, un industriel de Villeneuve-la-Garenne qui a fondé la marque Ariès et dont les véhicules ont joué un rôle notable durant le conflit. En 2014, plusieurs professeurs souhaitaient aussi participer aux célébrations des 70 ans de notre établissement en montant un projet avec leurs élèves. À cette occasion, nous avons donc voulu proposer à cette classe de s’intéresser aux automobiles de cette époque et au baron Petiet afin que leur court métrage s’intègre à la fois dans leur formation professionnelle et dans la vie de notre lycée.

Les camions Ariès ont joué un rôle important sur la Voie sacrée entre Bar-le Duc et Verdun. (Lieu et date du cliché non précisés – Source : Delcampe.net)

La mise en place du projet

Nous avons tenu compte de deux impératifs : d’une part, la nécessité de terminer la réalisation du film avant la fin de l’année scolaire, d’autre part, nous voulions que ce projet s’inscrive dans une démarche pédagogique collective. Il devait avoir du sens et être valorisant pour nos élèves. Ce projet souhaitait favoriser l’acquisition de compétences constitutives du programme de français de Terminale Bac Pro mais aussi transversales comme savoir écrire, savoir s’exprimer à l’oral et être capable de confronter des connaissances et des valeurs pour construire son identité culturelle. Ils ont pu réinvestir des connaissances acquises en début d’année à travers l’objet d’étude Identité et diversité (la construction de stéréotypes pendant la colonisation) et des compétences d’écriture travaillées depuis la seconde (écrire une synthèse, écrire un scénario, écrire les dialogues de plusieurs scènes ainsi que le discours des élèves à la fin du film). Les réflexions des élèves autour du jeu des acteurs et autour de la mise en scène ont aussi pu être réemployées lorsqu’ils ont travaillé sur l’objet d’étude La parole en spectacle. Ce projet cherchait aussi à favoriser l’acquisition d’autres apprentissages transversaux comme réussir à s’intégrer dans une équipe en mobilisant tous ses savoirs et ses savoir-faire.

La direction du lycée nous a autorisés en juin 2013 à mettre en place un atelier d’une heure par semaine inscrit dès la rentrée dans l’emploi du temps des élèves en plus de leurs cours habituels. Nous avons aussi reçu l’aide de la mairie de Villeneuve-la-Garenne qui a permis à Monsieur Pitois de venir participer à tous ces ateliers. Nous avons aussi demandé à la région Ile-de-France une aide financière pour acheter du matériel (disque dur), aide qui nous a par la suite permis de payer les droits de diffusion d’images d’archives de l’ECPAD (Etablissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense). Enfin, l’essentiel du matériel, c’est-à-dire 3 caméras, 2 perches et un ordinateur portable Apple, nous a été prêté gracieusement par le réseau départemental Canopé des Hauts-de-Seine.
La mise en place de ce projet a été divisée en deux parties : la première a consisté à préparer les élèves à la réalisation du court métrage. Nous avons souhaité que la présence de tous les élèves soit obligatoire durant les ateliers car il nous paraissait important que la classe entière (23 élèves) puisse s’impliquer. Pour la deuxième partie du projet, c’est-à-dire le tournage du film, il a été décidé de laisser aux élèves le choix de continuer ou non à participer au projet.

Septembre 2013-Mars 2014 : la préparation du tournage et l’écriture du scénario

Nous avons d’abord souhaité que les élèves réinvestissent leurs connaissances du premier conflit mondial grâce à l’étude de plusieurs documents (photographies, cartes, affiches…) et quelques rappels chronologiques. Puis nous avons dans une deuxième séance étudié quelques éléments du langage cinématographique et de la mise en scène en analysant plusieurs courts métrages (Charlot soldat, Les puits, Play the game), des extraits d’un long métrage (Les fragments d’Antonin), ainsi qu’une partie du making-of d’Un long dimanche de fiançailles. À la fin de chaque heure, un temps d’échange entre les élèves était organisé : un élève notait à chaque fois les principales idées proposées par les autres élèves de la classe et proposait une synthèse. Lors de l’atelier suivant, il devait rappeler au groupe les propositions énoncées la fois précédente. Notre objectif était d’arriver à la fin du mois de novembre, à partir de cette réflexion collective, à une ébauche de scénario qui répondrait au sujet proposé (la Grande Guerre, le lycée Petiet) et tiendrait compte du temps et des moyens mis à notre disposition.

Un thème va progressivement émerger, le rôle des soldats venus des colonies. En effet plusieurs élèves avaient le sentiment que parfois leur place dans le conflit et leurs expériences de guerre avaient été oubliées. Ce sujet les touchait d’autant plus que la plupart d’entre eux sont issus de l’immigration récente. Raconter l’histoire de ces hommes c’était aussi s’interroger sur les difficultés de l’intégration et tenter de construire des liens entre leur histoire familiale et celle de leur pays. Pendant la préparation du film, un élève va d’ailleurs découvrir l’histoire de son arrière-grand-père, parti de Pondichéry pour aller se battre en France.

Image extraite du film. 16 000 tirailleurs sénégalais sont passés par le camp du Courneau, près du bassin d’Arcachon pour y recevoir une instruction militaire.
 Liens utiles : http://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/la-teste-de-buch et
http://www.arte.tv/fr/1914-1918-le-camp-des-negres-oublie/2315250,CmC=2315348.html

Une fois les grandes lignes du scénario trouvées, la classe a été divisée en groupes autour de quatre ateliers : un atelier théâtre, un atelier d’écriture, un atelier de construction du story-board et un atelier de réalisation. Chaque atelier a été composé en fonction des envies des élèves, avec le souci de réussir à trouver une place valorisante pour chacun. Quatre élèves se sont proposés pour être les acteurs principaux du film : ils vont avoir à apprendre en quelques semaines à jouer devant une caméra, à construire leur personnage et à produire des intentions de jeu. Cinq autres élèves ont participé à l’écriture du scénario, du séquencier, des dialogues et du discours final. Ils ont dû réinvestir leurs apprentissages sur l’écriture théâtrale et sur les codes du conte fantastique. Trois autres élèves ont construit un story-board autour des premières séquences du film. Huit élèves ont appris à repérer l’espace, utiliser une caméra et une perche son. Ils ont aussi cherché des lieux de tournage dans la ville. Enfin, deux élèves ont été chargés de réaliser un making-of du projet. Pour encadrer les élèves, deux enseignants ont rejoint l’équipe pédagogique : Pascal Georges, professeur de mécanique, pour l’atelier réalisation et Christophe Pazem, professeur d’arts appliqués, pour la construction du story-board.

Des temps d’échanges entre chaque groupe ont été régulièrement organisés pour permettre aux élèves de prendre conscience que le travail et l’implication de chacun permettaient d’enrichir le projet commun. Le travail de préparation de chaque atelier a pu être présenté lors de la visite dans le lycée de Monsieur le Maire et de Monsieur le Recteur d’Académie en février 2014.

Mai 2014-Juillet 2014 : le tournage du film

Cette seconde étape a commencé après le retour de stage des élèves et s’est terminée quelques jours après les examens du baccalauréat. Une quinzaine d’élèves de la classe y a participé. Ils se sont fortement investis lors du tournage qui a eu lieu au lycée mais aussi en extérieur et dans des bâtiments de la ville, très souvent pendant leurs après-midi de temps libre. Ils ont pris conscience que tout le travail fait en amont, lors des différents ateliers, était l’une des clefs de leur réussite car il fallait tourner rapidement sans perdre le fil du récit. Ils ont également appris qu’il fallait davantage se responsabiliser, la présence et le sérieux de chaque membre de l’équipe étant nécessaires pour pouvoir finir le film de manière satisfaisante.

Un premier bilan

La mémoire retrouvée a été un projet très enrichissant pour tous ceux qui y ont participé. Il a permis à ces élèves d’améliorer leurs compétences dans le travail en équipe, dans leur capacité à écrire et à s’exprimer oralement. Il a aussi grandement favorisé l’estime de soi et entraîné des attitudes très positives au sein du groupe. Les élèves se sont ainsi fortement investis dans la préparation de leurs examens (88% de réussite au baccalauréat). Ce film a été projeté pour la première fois le 14 novembre 2014 dans la salle du cinéma Malraux de Villeneuve-la-Garenne dans le cadre de l’exposition "14/18, la Grande Guerre vue de l’arrière".

Soldats blessés après les offensives de 1918. (Source ECPAD)

Laurent Dinel

Équipe pédagogique ayant participé au projet :

Laurent Dinel, professeur de Lettres-Histoire
Luc Pitois, directeur du cinéma Malraux de Villeneuve-la-Garenne
Pascal Georges, professeur de Mécanique
Christophe Pazem, professeur d’Arts appliqués

Équipe de direction du lycée Charles Petiet :

Paul Baquiast, proviseur
Belkacem Ouchen, proviseur-adjoint

Voir en ligne : Lien et remerciements : ECPAD

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