Carte sensible : Balade sonore

, par Samuel Duclos

Un scénario pédagogique proposé par Samuel DUCLOS (LP Adrienne Bolland – Poissy)

« Il y a de la musique dans le soupir d’un roseau ; il y a de la musique dans le bouillonnement d’un ruisseau ; il y a de la musique dans toutes choses, si les hommes pouvaient l’entendre. » Lord Byron, Don Juan, 1824.

Oubliez le diktat de l’objectivité : une carte sensible rend compte de l’expérience d’un territoire par une personne et celui qui réalise ce type de carte s’émancipe de la cartographie traditionnelle pour assumer sa subjectivité. La cartographie sensible permet en effet de laisser libre cours aux rapports émotionnels, et sensoriels d’une personne à un territoire qu’il s’agit de représenter tout en se représentant. C’est-à-dire en se l’imaginant avec son ressenti, mais aussi, en se mettant en scène à l’intérieur de celui-ci. Dès lors, il y aura autant de représentations différentes d’un même territoire qu’il y aura de cartographes sensibles. Un exemple parmi d’autres sur le site de la Plateforme Art & Géo de cartes sensibles :

Source : [1]

La carte sensible prend généralement la forme d’un dessin. Celui-ci échappe aux normes de la représentation cartographique. Exemple ci-dessus : non-respect de l’échelle, absence d’orientation cardinale, absence de légende, indications subjectives sur la carte, représentation partielle du réel. Cela dit, oublions aussi le dessin : pour cette expérimentation, nous vous proposons de réaliser une carte sensible sonore, à l’exemple de celles de Londres constituée grâce à de nombreux enregistrements (ou paysages sonores) :

https://www.soundsurvey.org.uk/index.php/london_map/entry/waterloo/348

Comme on s’attache surtout à travailler l’oral avec les élèves, nous réaliserons cette carte sonore sous la forme d’une balade commentée, c’est-à-dire en enregistrant la description subjective d’un paysage par les élèves. Pour se faire, la classe part en balade dans la ville de proximité du lycée. Chaque groupe d’élèves effectue à tour de rôle une description orale du paysage visuel et sonore qui l’entoure. Tout est enregistré sur téléphone portable (ou mieux avec un enregistreur numérique).

Capacités, visées et points du programme travaillés

Testée avec une classe d’UPE2A, cette expérimentation destinée aux élèves qui entrent en CAP est intéressante dès le début de l’année. Elle trouve son cadre dans les nouveaux programmes d’enseignement en français, tout en offrant une introduction idéale aux nouveaux programmes de géographie. En effet, l’approche des deux thèmes -
« Espace, transport, mobilité » et « Espace urbains, acteurs et enjeux » - incite fortement l’élève à se questionner sur son rapport au monde à différentes échelles. A ce titre, il est pertinent de se poser des questions globales à partir de son expérience locale. Ces nouveaux programmes formulent par ailleurs l’intérêt de « travailler en projet […] à l’aide de l’outil numérique » notamment en « rendant compte à l’oral [et en] s’enregistrant pour mieux s’exprimer », ce que propose justement de réaliser cette balade commentée. En français, l’activité permet de construire l’objet d’étude « Se dire, s’affirmer, s’émanciper » avec un travail centré sur le lexique, l’oral et le numérique. Réaliser une balade commentée subjective suppose une mise en scène de la personne qui décrit : les élèves se posant concrètement la question de ce qu’ils oseront ou non dévoiler d’eux-mêmes lors de l’enregistrement. Dans les programmes de français : « par la production orale où il met en scène une représentation de soi, l’élève entre dans une démarche réflexive sur les différentes perceptions qu’il a de lui-même et veut donner de lui-même.

Point de départ de l’expérimentation

L’expérimentation part du constat qu’étant donné le nombre d’élèves dans une classe, il est difficile de travailler l’expression orale et surtout de développer les compétences associées pour chacun des élèves. Au-delà des traditionnels échanges en cours dialogué, quelle activité autre est-il possible de proposer pour permettre à chacun des élèves de progresser à l’oral ? Enregistrer la description d’un paysage en mouvement et utiliser la parole pour une réalisation concrète permet aux élèves de comprendre les exigences d’une prise de parole à priori simple, mais qui nécessite une certaine complexité en termes de capacités, ce que l’on travaillera avant la balade : décrire un paysage, improviser une description, mobiliser un lexique approprié (champ lexical du son, champ lexical du milieu urbain)

Situation et démarche

L’ensemble du projet est présenté sommairement dans le tableau. Pour plus de détails, cliquez sur les fichiers Word associés à chacune des séances. Quelques explications tout de même. Improviser une description sensible n’est en rien un exercice naturel : difficile d’exprimer un ressenti sans aucun filtre, une personne saine d’esprit a rarement l’occasion de pratiquer la parole en continue dans la rue ! Aussi faut-il prendre soin de donner aux élèves les outils et les recommandations pour réussir.

L’enregistrement d’une balade commentée nécessite au préalable de savoir organiser la description d’un paysage (S2), de s’être approprié du vocabulaire (S2 et S3), d’éveiller son acuité sensorielle en prenant conscience de la richesse phonique du monde (S4), de s’exercer à l’improvisation d’une description subjective (S5). Enfin, on pourra donner un peu de hauteur artistique en montrant aux élèves comment le fait d’enregistrer un paysage sonore s’insère dans le champ plus large de la musique contemporaine : L’Art des bruits en musique par le futuriste italien Luigi Russolo (S3), la découverte de pratiques musicales telles que la musique concrète avec Bernard Parmegiani (S3) et le field-recording avec Chris Watson (S4)

Avant l’enregistrement de la description subjective du paysage, les consignes simples seront les suivantes : décrire ce que je vois, décrire ce que j’entends, décrire ce que je ressens.

SéancesSupportsActivités
S1 – La ville vue du ciel Géographie / 1h Poissy : Google Maps vue « satellite » Cours dialogué

  • Repérage des lieux connus de la ville
  • Repérage des différents espaces de la ville
    Exercice de localisation : les élèves replacent les lieux demandés sur la photo satellite.
S2 – décrire un paysage urbainFrançais – lexique et écritureGéographie / 2h Six photos de la ville correspondant à différentes étapes de la balade Ecriture : les élèves réalisent la description d’une photoOral : chaque groupe présente une photoCours : reprise sur les différentes manières d’organiser une description.
S3 – Champ lexical du son/BruitFrançais – lexique / 2h Musique : John Cage, 4’33, 1952.Luigi Russolo, L’Art des bruits, 1913. Cours dialogué :Exercice de classement : à partir d’une liste de mots, classer les différents sons dans le tableau
S4 – Ecrire les sonsFrançais – écriture / 2h2h Michel Chion, Le promeneur écoutant, 1993.Musique : Chris Watson, Weather Report, 2003. Cours dialogué sur la différence entre les sons et les bruitsExercice d’écriture : décrire les sons entendus dans la salle de cours
S5 – improviser une descriptionFrançais – oral / 2h Oral : dans la cour, les élèves enregistrent la description de ce qu’ils voient et entendentAuto-évaluation : écoute critique des différentes réalisations.
S6 – balade commentéeFrançais – oralGéographie / 2h30 Organisation : Groupes de 3 élèves :

  • Un photographe
  • Un guide
  • Un cartographe sensible
Chacun des groupes enregistre la description sensible du paysage visuel et sonore qui l’entoure.
S7 – DérushageFrançais / 1h Enregistrement des élèvesLogiciel Audacity Les élèves écoutent et évaluent leurs productions.Avec Audacity, ils suppriment les passages ratés.

Point d’arrivée

A partir de Google Maps, il est possible de créer une carte et de la personnaliser en intégrant le parcours de la balade, ainsi que les différents enregistrements réalisés avec leur localisation. A partir d’un compte Gmail, vous accédez à Google Maps. Dans le menu, cliquez sur l’entrée « vos adresses ». Ensuite, cliquez sur l’onglet « Cartes ». Il ne vous reste plus qu’à manipuler !

Cette carte personnelle, via des balises HTML, peut s’insérer facilement sur le site du lycée et n’importe quel autre blog ou site internet. Le résultat de notre expérience, réalisée avec 23 élèves de la classe UPE2A de Mme KOULAILA en avril 2019, est accessible sur le site de Radiobolland, la radio du lycée Adrienne Bolland de Poissy :

https://radiobolland.blogspot.com/2019/05/carte-sensible-balade-sonore.html

Analyse critique

Une fois réalisé, ce projet me paraît toujours aussi pertinent. Les élèves ont apprécié la balade et se sont facilement emparés des enregistreurs numériques pour réussir à décrire en quelques minutes le paysage visuel et sonore. Improviser une description est en effet un exercice inhabituel qui implique de se dévoiler par la parole, une « mise en danger » plutôt excitante ! Toutefois l’écart entre ce qu’il est possible de réaliser et le rendu final génère son lot de frustrations. Il faut noter deux principales difficultés :

  • Difficulté à approfondir les descriptions : la plupart des descriptions ressemblent à des listes du type : « je vois un immeuble, il y a des volets, en bas une boulangerie… ». Plutôt que d’approfondir la description de certains éléments, celle-ci est donc restée en surface alors que pour un immeuble les élèves auraient pu décrire son architecture, ses différents étages, les matériaux utilisés, son état, etc. Cette difficulté a été anticipée et travaillée lors de la séance 5, mais il faut croire que la tension résultant d’une improvisation enregistrée en marchant rend compliqué cet approfondissement.
  • Difficulté à décrire le paysage de manière globale : si de nombreux éléments se juxtaposent dans la description, difficile de s’imaginer le paysage dans sa globalité en écoutant les enregistrements. Aussi faudrait-il travailler cet aspect lors d’une prochaine réalisation : toponymie, type d’espace urbain et situation du paysage dans la ville, type de voie et d’habitat. Un travail qu’il serait possible de réaliser en séance 2 en insistant d’abord sur la description générale pour aller sur la description précise des différents éléments qui composent le paysage.

Ressources

# « Espace, transport, mobilité » et « Espace urbains, acteurs et enjeux »

# Nouveaux programmes

Notes

[1Carte sensible de Jacques, ancien sans-abri, 5ème arrondissement de Paris, juillet 2013.Merril Sinéus – pour le PEROU (Pôle d’Exploration des Ressources Urbaines)

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